vendredi 15 octobre 2010

Formations en REFLECT

Découverte de REFLECT

Je suis présentement en session de formation sur la méthodologie REFLECT pour une semaine dans un village près de Kumasi du nom d’Akyawkrom, tout juste à coté de la localité d’Ejisu. Cette fameuse méthodologie qui est la spécialité de mon organisation partenaire utilise beaucoup d’outils pédagogiques visuels (calendriers, graphiques, illustrations, et plus) pour identifier et canaliser les idées de projets de développement des communautés rurales analphabètes tout en les alphabétisant. Près d’une trentaine de participants étaient présents et le tout était très intéressant. On y a appris surtout des méthodes d’intervention stratégiques, simplifiées, participatives et mobilisatrices pour le travail de développement en milieu rural. Comme tout ce qui tourne autour de REFLECT fait appel à la participation, les sessions sont toujours très animées, les Ghanéens aimant beaucoup émettre leur opinion, mais le transfert de la connaissance s’est effectué de façon un peu lente. Les tergiversations, parfois peu pertinentes, fusent, mais chacun est très fier de s’exprimer.

La directrice d’Action Aid Ghana, branche ghanéenne de la grande ONG anglaise qui finance Pamoja, était de passage pour voir comment fonctionne REFLECT. Elle a trouvé que les choses progressent lentement, j’espère néanmoins qu’elle comprend que l’approche participative, de par sa nature, implique certaines longueurs, peu importe le pays dans lequel on se trouve. Cependant, elle possède un tempérament très brusque, de femme d’action. Le futur de Pamoja dépend un peu de son appréciation de REFLECT car elle tend à vouloir orienter les programmes d’Action Aid vers l’approche basée sur les droits (RBA, rights based approach) au détriment de REFLECT qui met plus l’emphase sur l’approche participative en milieu rural (PRA, Participatory Rural Appraisal). L’opération consistait à la convaincre de l’utilité de REFLECT et je ne suis pas sûr que le résultat ait été atteint à la perfection. Pour ma part, j’ai tenté de montrer comment les deux approches sont complémentaires, mais le thème n’a pas été abordé formellement dans la formation.

Le déroulement de l'évènement s’est vraiment fait de façon animée. Tous les matins et tous les soirs, en alternance, chrétienne ou musulmane, une longue prière a été récitée pour bénir la journée et remercier « le seigneur » avant de commencer ou de terminer les activités. Les prières chrétiennes ont été accompagnées de longs chants très harmonieux et les prières musulmanes ont été rapidement exécutées, ce qui fait qu’en bout de ligne, ça ne m’a pas trop dérangé. De plus, environ toutes les heures, les formateurs nous ont fait lever et nous fait faire des exercices « energizers », où une fois sur deux on nous a fait bouger les fesses ou le bassin, ce qui est très rigolo car beaucoup de participants étaient très fessus. On nous a fait également claquer des mains, en criant des mots en langue Twi. Ces pratiques qui donnent une atmosphère enfantine à l’évènement sont quand même efficaces en ce qui concerne chasser la fatigue des longues journées de formation.

Les travailleurs du développement et leur vision de la condition féminine
Avant-hier on parlait de la condition féminine, thème majeur pour la branche d’Action Aid, ainsi que pour bien d’autres agences de coopération internationale. Les facilitateurs ont démontré toute l’importance de la question du genre dans l’approche REFLECT qui est largement utilisée pour intervenir auprès des femmes en milieu rural parce qu’elles constituent un groupe particulièrement marginalisé en Afrique de l’Ouest comme j’ai pu le démontrer lors de précédents messages. Un outil a été utilisé pour démontrer la différence, selon les genres, de la charge de travail quotidienne en milieu rural. L’outil « calendrier quotidien des tâches» a donc été choisi et son utilisation a clairement démontré que la charge des tâches des femmes rurales au quotidien est nettement plus lourde. La femme rurale ghanéenne typique se lève à 5 heures du matin et arrête vers 21h, sans prendre de pauses, alors que l’homme rural ghanéen typique, qui se lève à 7h, possède jusqu’à trois moment de pause dans la journée. Cette réalité, je l’ai observée partout en Afrique de l’Ouest car les tâches ménagères sans lave-vaisselle, eau-chaude, lessiveuse sont vraiment plus longues et accablantes, surtout si on tient compte de la poussière omniprésente dans l’air. Plusieurs discussions ont donc suivi après les exercices. Hommes et femmes se sont entendus sur le fait que les femmes travaillent plus longtemps que les hommes à cause de la division du travail selon les genres qui prévaut. Devant ce constat frustrant, plusieurs femmes ont décidé d'exprimer leur état d’âme. Un échange a démontré que certaines femmes acceptaient cette situation car elles avaient peur de déplaire à leur mari qui pouvait les répudier, situation socialement et économiquement insupportable car les femmes ont des opportunités d’autonomie financière beaucoup plus faibles que les hommes.

Toutefois, les hommes ont aussitôt répliqué que le travail de l’homme-type, en tant que fermier est moins long mais plus éreintant, et surtout que c’est l’homme qui rapporte l’argent à la maison et que de ce fait, cela justifie la moindre charge de travail dont ils doivent s’acquitter, dénigrant du même coup le travail de la femme qui n’est vraiment pas non plus de tout repos, mais qui n’est pas rémunéré. Je croyais alors qu’un important débat allait se lever, mais non… les femmes se sont tues et ont écouté passivement les hommes, surtout les deux ou trois plus bavards,  qui sont devenus particulièrement déchaînés. La situation a atteint un summum lorsqu’un des participants de la formation  s’est levé et a affirmé avec prestance et confiance que de toutes façons, dieu a créé l’homme supérieur à la femme et celui-ci doit la commander. Aucune femme n’a bronché, j’étais stupéfait! Ma stupéfaction venait surtout du fait que les femmes présentes dans la salle sont toute des femmes de caractère, très puissantes, qui s’expriment avec verve à propos des problèmes liés à la condition féminine en Afrique. Deux d’entre elles sont des « assembly woman », « élues locales » de leurs districts, et une, plus jeune que moi, se présente aussi pour le devenir. Les autres sont pour la plupart des dirigeantes d’ONG locales.

Encore plus choquant, c’est que les hommes sont tous aussi des « professionnels » du développement qui vivent du financement extérieur et qui gèrent des projets visant l’équité des genres, sans toutefois y croire vraiment si l’on se fie à cette situation. Ça m’a fait mal au cœur car je suis en pleine solidarité pour la cause de la femme africaine qui selon moi est réellement opprimée, et ce surtout en milieu rural. Le dîner venu, j’ai mangé sur une table occupée seulement par des participants masculins et j’ai tenté de les convaincre qu’une femme pouvait aussi être la dirigeante principale du foyer. Je leur ai donné l’exemple qu’autrefois, les esclavagistes affirmaient que Dieu avait créé les noirs pour qu’ils soient inférieurs et asservis, et que cela s’est révélé faux par la suite et j’ai pu citer mon « role-model » favori, Barrack Obama. L’argument a fait effet.

J’ai ensuite initié un débat sur les origines de l’inégalité entre hommes et femmes. J’ai expliqué que l’inégalité en matière de force physique est la cause principale de la définition du statut social en fonction des genres dans les sociétés traditionnelles puisque la force est primordiale dans les activités quotidiennes de tout un chacun, mais que les sociétés actuelles changent la nature des tâches quotidiennes (en Afrique, surtout dans les villes), et que l’inégalité des genres ne provient pas d’un choix divin. Cependant, il est parfois très difficile de convaincre quelqu’un qui a recours à des explications religieuses pour justifier ses valeurs qui guident ses pratiques. J’espère quand même avoir laissé une graine qui pourrait un jour faire germer des idées pour égalitaires.

J’ai ensuite lancé le débat auprès des femmes en leur résumant comment la transformation de la condition féminine s’est opérée au Québec. Elles furent très surprises car elles ne savaient pas du tout que les femmes canadiennes pouvaient, dans certains cas, commander leur mari au foyer. Et surtout, elles ne savaient pas qu’il y a quelques dizaines d’années, cette situation était presque impossible, et qu’il y a eu en fait un réel changement sur la condition de la femme dans notre pays et que cela s’est fait par une lutte acharnée des femmes accompagnée d’un rejet des traditions et valeurs propres à notre peuple. Mais encore une fois, les Africains sont très récalcitrants à vouloir affirmer publiquement qu’ils veulent abandonner une partie de leur culture, et ce pour « copier les blancs », et, d’une certaine façon, je ne les blâme pas à ce sujet, nous sommes tous attachés à notre culture et notre identité nous tient tous à cœur.

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